Ses prunelles voguent sur les différents étals, tandis que sa démarche se veut flâneuse. En ce jour de marché, fournisseurs comme consommateurs affluent davantage qu’à l’accoutumée en Lysandria. Aussi, un petit détachement de la soldatesque locale eut pour ordre de mission de veiller à la quiétude de l’évènement. Quelques hommes et femmes en armes dispersés dans le marché dissuaderaient théoriquement les troubles-fêtes, quels qu’ils soient, de se montrer au grand jour.
Lucina étant une des personnes sélectionnées, c’est tout naturellement qu’elle se sera retrouvée attirée par un fleuriste s’égosillant de la fraîcheur inégalée de son produit phare. Si la demoiselle s’est bien arrêtée pour observer sa marchandise, c’est en le délestant d’un tout autre échantillon qu’elle aura alourdi de quelques pièces la besace du négociant. En effet, la blonde s’est remémorée la lettre outrageante reçue de sa propre mère lors de son retour en ville. De sombres individus, errant toujours, s’en seraient pris à plusieurs sépultures afin d’en dérober le contenu. Qui sont les coupables et quelles sont leurs motivations, ceci n’est pas pleinement de son ressort. Sa préoccupation est cependant de vérifier que la tombe de son être cher ne fut pas endommagée de ses propres yeux.
Son statut de chevalière l’exempt pourtant d’une simple balade anonyme. A sa gauche, un poissonnier et son client débattent avec houle de la fraîcheur du poisson. A sa droite, il lui apparaît qu’un jeune couple distrait un joaillier pour le voler. La basse sphère du royaume, si elle est la plus appréciée de la Vestalys, est bien souvent celle qui lui donne le plus de labeur. Certains de ses pairs de sang bleu ne sont bien sûr pas exempts de telles bassesses, mais ceux-là, elle ne bénéficie malheureusement pas du droit de les sanctionner elle-même. Il lui semble pourtant que cela soit un gâchis colossal du temps précieux de la Reine. La jeune femme n’est néanmoins pas du genre à outrepasser sa position, ce serait même plutôt l’inverse.
Ainsi, au détour d’une rue marchande, Lucina s’octroierait un instant de répit en s’écartant du flux passager. Ces fleurs qu’elle avait achetées, elle les avaient découvertes lors de sa dernière affaire dans le Duché de Lysmer. Si leur senteur lui remémore donc un doux souvenir, il vient avec un côté plus aigre. La raison de son voyage là-bas ? La multiplication d’actes de braconnages orchestrés par des individus ayant graissé quelques pattes afin d’opérer sereinement. La délégation dont elle fut une composante avait pu mettre cette entreprise en déroute sans toutefois réussir à appréhender tous les fautifs. La jeune femme ne pouvait plus y faire davantage que prier Lumara en vue que rien de tel ne soit réitéré. Ce serait certainement sa prochaine destination, une fois son rituel au cimetière accompli. Mais avant tout cela, il lui fallait encore franchir le marché cosmopolite en s’acquittant de toutes les demandes qu’on pouvait lui formuler. Pourvu qu’elle n’ai pas d’autre querelle ou machination à désamorcer.
Après la grande cérémonie de son intronisation au sein de l'ordre des Bardes Itinérants, Zélie avait pris congé de ses pairs. Ceux-ci lui avaient fait savoir qu'ils lui confieraient une première mission sans trop tarder mais l'avaient encouragée à poursuivre son voyage en attendant. Ainsi, après moultes tergiversations, la jeune femme avait choisi de retourner à Lysandre. Elle avait hésité à retourner à Solanor pour prendre des nouvelles de ses frères mais elle avait fini par estimer qu'il était encore trop tôt, elle ne se sentait pas encore prête à retourner dans sa ville natale. C'est donc avec un enthousiasme certain qu'elle avait décidé de se rendre une nouvelle fois à la capitale qu'elle n'avait pas vraiment pris le temps de parcourir lors de sa première visite. Ce serait là l'occasion de retrouver Shenkeh et de lui raconter la grande fête qui avait eu lieu dans la clairière devant une bonne chope de cidre.
Zélie fit son entrée à Lysandre en jouant distraitement un air léger sur sa vièle. Elle portait ses habits de voyage et seul son instrument pouvait indiquer sa fonction. Machinalement, elle reprit le même chemin qu'elle avait emprunté lors de sa première visite, pensant vite retomber sur son ami Ork. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était de découvrir qu'un immense marché se tenait désormais au cœur de la capitale. Elle lâcha son instrument qu'elle repositionna dans son dos à l'aide de sa bandoulière en cuir et essaya de repérer. Une foule de flagorneurs semblait avoir envahi la ville. Des étals colorés s'étendaient à perte de vue et les senteurs mélangées de divers produits se mêlaient au brouhaha ambiant. La jeune barde sourit en se disant que retrouver son amie musicienne ne serait probablement pas si aisé qu'elle l'avait cru, bien que l'amie en question ne passe pas facilement inaperçue... Quoi qu'il en soit, l'enthousiasme de Zélie n'avait pas été entamé pour un sou, bien au contraire ! Elle se mit elle aussi à flâner le long des étals en jetant un oeil curieux aux marchandises exposées. L'oreille à l'affut, elle guettait néanmoins le moindre son de luth qui aurait pu lui indiquer la présence de Shenkeh.
L'instant était agréable et, au cours de son cheminement, la jeune barde se laissa tenter par une coupe de vin épicé accompagné d'un peu de compote de poire. D'un air satisfait, elle constata qu'aucun bijou du marché n'égalait son nouvel anneau mais peut-être n'était-elle pas tout à fait objective... Zélie passa plusieurs heures ainsi à se promener au milieu des Lysandriens et toujours aucune trace de Shenkeh. Elle se mit alors à demander aux badauds s'ils ne l'avaient pas croisée. Mal lui en prit car beaucoup fronçaient les sourcils ou affichaient une mine contrariée lorsqu'elle faisait la description de son amie. Elle n'avait jamais vraiment compris cette animosité envers les Orks. Il y en avait des très bien et des moins biens, comme tous les représentants des autres races, après tout ! Mais il en fallait plus pour décourage l'apprentie.
Au détour d'une rue, elle aperçut une belle jeune femme au port altier, elle portait une armure rutilante et sa longue chevelure blonde se balançait au rythme de ses pas cadencés. Zélie supposa qu'il s'agissait probablement d'une figure d'autorité et elle se dit qu'elle devait patrouiller depuis un moment dans le marché. Peut-être avait-elle croisé Shenkeh ? Aussi, elle s'avança vers elle, un large sourire au visage.
- Bonjour, Madame ! Pardonnez-moi de vous importuner ainsi mais... Je cherche une amie qui a l'habitude de fréquenter ces rues. C'est une musicienne, comme moi, elle joue du luth et elle a une très jolie voix, peu commune d'ailleurs, mais très jolie, très éraillée. Elle est encore plus grande que vous, presque 1 mètre 90, je dirais. Elle a de longues tresses rousses, plein de boucles d'oreilles et un anneau dans le nez. Sa peau est très verte, aussi. Je me disais que vous auriez peut-être pu la croiser pendant votre patrouille ? demanda poliment la jeune barde sans se départir de son habituel sourire.